Des enfants décédés on ne sait où ni quand ou de quelle cause, voilà ce dont il est question dans le rapport annuel 2024-2025 de l’application de la Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement.
Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, a déposé le rapport à l’Assemblée nationale le 24 avril dernier et était à Mistissini le lendemain pour le présenter aux familles concernées.
L’objectif de la loi, entrée en vigueur en 2021, est d’aider les familles autochtones dans leur quête de réponses sur la disparition ou le décès de leurs enfants à la suite d’une admission dans un établissement de santé et de services sociaux avant le 31 décembre 1992. Le rapport de 87 pages se veut exhaustif, avec un historique de la démarche et un état du suivi des recommandations; il fournit des statistiques détaillées sur les Premières Nations engagées dans les recherches, les organisations impliquées, les causes de décès, les lieux d’inhumation, etc.
Des drames humains
« Ce sont des drames humains derrière chacun de ces chiffres, commente le ministre Lafrenière. […] Au quotidien, c’est des cas qui sont extrêmement lourds. Il y a des dossiers qui se ferment, c’est-à-dire pour lesquels on n’a pas réussi à trouver plus, mais on fait un cheminement avec chacune des familles. Ce qui me rend particulièrement fier, c’est de travailler avec un organisme autochtone [Awacak – petits êtres de lumière]. Ça ne s’était jamais vu. »
M. Lafrenière était à Mistissini le 30 septembre alors qu’y était réinhumée Juliette, une enfant précédemment enterrée à La Tuque après un passage au pensionnat de cette ville. Après toutes ces décennies, une amie et consœur de classe de la disparue, Mary Coon, plus de 70 ans aujourd’hui, a demandé pardon à la famille pour ne pas avoir tenu sa promesse de protéger son amie.
« Je peux te dire, c’est des moments dont je vais me rappeler pour le restant de mes jours, témoigne M. Lafrenière. […] C’était extrêmement dur. C’est vraiment en pleine face une réalité que parfois on connait peu. »
Des chiffres
Les chiffres, il faut tout de même en parler. Entre 2021 et le 28 février 2025, 121 familles ont fait appel à Awacak et à la Direction de soutien aux familles, d’assurer l’application de la loi, concernant 209 enfants disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement. Parmi ces 209 enfants, près de 49 % sont disparus ou décédés avant l’âge d’un an ou moins et environ 17 % entre un an et cinq ans. Il en est 11 dont on ignore l’année de décès. Si on sait la plupart du temps le nom de la ville où sont inhumés les enfants recherchés, le numéro de lot ou de fosse est souvent manquant.
Les Atikamekw (39,7 %) sont surreprésentés dans les demandes de renseignements alors qu’on observe l’inverse chez les Cris, de qui proviennent 4,1 % des demandes. La Direction de soutien aux familles et Awacak ont participé au Rassemblement des survivants des pensionnats de Fort George, qui avait lieu à Chisasibi du 5 au 9 aout 2024. Les organisations ont présenté leur service. « Avec ce travail, je constate que plus on avance, plus les travaux sont minutieux, et plus émotifs, car exhumer et faire des visites dans les cimetières avec les familles, c’est très douloureux », commente dans le récent rapport annuel Françoise Ruperthouse Nin, la directrice générale d’Awacak, qui a pour mission d’aider les familles autochtones dont les enfants sont disparus ou décédés.
Une baisse de demandes
Le nombre de demandes d’assistance a baissé depuis le dépôt du rapport 2023-2024, où 36 demandes avaient été faites pour 79 enfants. Le plus récent rapport fait état de 5 demanderesses et demandeurs concernant 10 enfants. L’utilité de la loi, d’Awacak et de la Direction de soutien aux familles est-elle arrivée à terme? Aucunement, selon le ministre Ian Lafrenière.
« Aujourd’hui, explique-t-il, on dépasse ça, on a 212 enfants, 122 familles qu’on accompagne. […] Pour la prochaine année, le volet anglophone, c’est-à-dire les communautés cries et inuites, va être important. Mais […], il n’y a pas un objectif de rendement, avec un nombre de jeunes. Quand on a mis la loi en place, on n’avait pas d’idée d’ordre de grandeur. On se donnait un premier bloc de 10 ans. Mais on n’a pas fait le tour. Il y a d’autres exhumations possibles dans la prochaine année. »
M. Lafrenière précise en outre que certaines personnes prennent plus de temps à se préparer, émotionnellement parlant, à entrer dans un processus qui prend souvent des années. Pour d’autres, c’est la confiance qui est plus lente à construire.
Pensionnats et orphelinats
Le rapport 2024-2025 fait état d’obstacles aux recherches visant à retrouver, dans des registres de crèches ou d’orphelinats, des enfants mis en adoption, mais ce dossier est en voie d’être réglé, selon le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits. Il dit avoir eu des conversations fécondes avec des responsables des clergés catholique et protestant, et que l’éducation se fait progressivement quant à la Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones.
« Des obstacles comme on en a vécu au début, où j’ai dû mettre mon pied à terre, on n’en est plus là, assure Ian Lafrenière. C’est normal, parce qu’on demande aux gens de remettre quelque chose qui est protégé par la Loi sur l’accès à l’information. Normalement, ils ne devraient pas le donner. Il y en a des dossiers pour lesquels c’était un petit peu plus rapide, mais majoritairement, si c’était si facile d’obtenir l’information, la loi n’aurait pas été nécessaire. »
Sans cette loi, seulement 13 % des dossiers des enfants demandés auraient été accessibles.
Un modèle?
M. Lafrenière affirme que la démarche du Québec intéresse beaucoup les autres provinces.
« J’ai parlé de ce qu’on fait à mes collègues des autres provinces. J’ai envoyé mon ancienne conseillère spéciale, Anne Panasuk [ex-journaliste, auteure de Auassat] faire des présentations dans l’Ouest canadien. […] C’est unique ce qu’on fait. […] On peut ne pas être fier de l’histoire. On peut être fier de ce qu’on fait aujourd’hui. »