Anna Mapachee, une enseignante dont la famille maternelle est originaire de Waskaganish, est une des voix qui anime la bande dessinée C’est le Québec qui est né dans mon pays, dont elle a même trouvé le titre.
La bande dessinée que signe Emmanuelle Dufour s’éloigne résolument des œuvres d’humour ou d’aventures dans lesquelles on cantonne habituellement le genre. Elle s’inscrit plutôt dans une tendance plus sérieuse qui a pris de l’ampleur depuis une décennie, où on retrouve, pêle-mêle, des reportages de guerre, des biographies, des adaptations de pièces de théâtre ou encore des récits intimistes.
L’œuvre de Dufour tient à la fois de l’autobiographie et du documentaire. À l’occasion d’une rencontre avec des Maoris en Nouvelle-Zélande, l’autrice a pris conscience qu’elle ignorait tout des Autochtones de sa propre province. S’en est suivie une démarche d’interrogation sur sa propre identité ou sur l’ethnocentrisme, sa responsabilité face au colonialisme; une démarche aussi de rencontres et de dialogues, avec ses proches, avec des universitaires, mais aussi, évidemment, avec des Autochtones connus (Stanley Vollant, Mélissa Mollen Dupuis, Ellen Gabriel) et d’autres moins connus.
À travers les moments phares historiques de la « Découverte », de la Commission Viens, des pensionnats indiens et bien sûr de la crise d’Oka, les personnages de C’est le Québec portent un regard sur eux-mêmes et sur l’autre, dans une œuvre qui plaide pour le dialogue et la réconciliation.
Formellement, le travail de Dufour ne ressemble en rien aux bandes dessinées traditionnelles et à leur succession de cases. On a plutôt droit à des illustrations pleine page alternant avec des textes illustrés où, avec des esthétiques très diversifiées, l’autrice revisite parfois l’iconographie historique et moderne, sans oublier les clins d’œil au Lucky Luke de Morris.
D’Archie à l’Université de Montréal
Originaire de Pikogan, d’origines anicinabée et crie, Anna Mapachee terminait un baccalauréat à l’Université de Montréal lorsqu’elle a rencontré Emmanuelle Dufour. « Je lui parlais souvent de mon vécu, de la discrimination », se rappelle Mme Mapachee. […] Ça a été une amie à qui j’ai fait confiance. » Dans son témoignage, Mme Mapachee parle de son père qui regardait les films de John Wayne sans s’indigner du mauvais sort fait aux « Indiens »… ni d’ailleurs se reconnaitre en eux. Elle parle des bandes dessinées Archie. « On les lisait après le souper, raconte-t-elle. Mon père ne parlait pas français; on les traduisait en langage anicinabé. C’est plus drôle en anicinabé, parce que tu ne dis pas juste que quelqu’un est tombé mais comment il est tombé. »
Son intervention témoigne en outre de sa conscience de sa spécificité culturelle. « Les jeunes à Amos me disait « t’es Québécoise », explique Anna Mapachee, mais j’avais de la misère à leur expliquer que non, parce que mon français était moins bon. »
Quand on lui disait qu’elle était québécoise parce qu’elle était née au Québec, Anna Mapachee rétorquait que c’était le Québec qui est né dans son pays.
« Ils [les éditeurs] trouvaient ça très fort et ont décidé de prendre cette phrase pour le titre, explique-t-elle. J’étais surprise. Je ne m’attendais pas à ce que ça aille aussi loin. »
L’importance de l’éducation
S’il y a un thème récurrent dans le livre d’Emmanuelle Dufour, hormis le colonialisme, c’est bien celui de l’éducation, d’autant plus que le livre a été fait dans le cadre d’un projet doctoral de recherche-création.
Un grand nombre de personnages sont des professeurs; l’éducation est montrée comme une solution à l’ignorance qu’ont bon nombre de Québécois face à ceux avec qui ils partagent le territoire. Elle est aussi présentée comme un remède à la méconnaissance qu’ont d’eux-mêmes les Autochtones, une acculturation générée, entre autres, par les pensionnats indiens.
L’ouvrage cite une déclaration de 1972 de la Fraternité des Indiens du Canada qui allait devenir l’Assemblée des Premières Nations: « Nous voulons que, par l’éducation, nos enfants acquièrent les connaissances nécessaires à la fierté de soi et à la compréhension d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. »
Les espoirs sont placés dans l’Institution Kiuna, située à Odanak, où Mme Mapachee enseigne, et qui a pour objectif de permettre « l’appropriation de l’école par les Premières Nations, sans en extraire les savoirs occidentaux ».
Conserver sa culture
« Dans les livres à l’école, critique Anna Mapachee, on parlait toujours de l’histoire ancienne, ça n’expliquait pas qui nous sommes. Christophe Colomb, Cartier, ça ne m’intéressait pas. Nous, on est où là-dedans? »
Les pensionnats ont été épargnés à Mme Mapachee et à son frère le plus jeune, qui ont pu conserver leur culture notamment grâce à leurs grands-parents. « J’ai la langue, la survie en forêt, dit-elle. Mon frère et ma sœur ainés l’ont beaucoup moins. »
Cette culture, elle se fait une vocation de la conserver et de la faire connaitre. Pendant plusieurs années, elle a créé des situations fictives à l’usage des étudiants en première année de médecine à l’Université de Montréal, afin qu’ils sachent comment se comporter avec les Autochtones provenant de régions éloignées.
Pour elle, le cas de Joyce Echaquan n’est rien de nouveau. « Mais ce n’est pas tout le monde qui dénigre », précise-t-elle.
Elle ambitionne de retourner en Abitibi et de faire des camps de survie en forêt pour les jeunes.
Sa fille, qui poursuit sa scolarité à Montréal, est en train de lire C’est le Québec qui est né dans mon pays.
C’est le Québec qui est né dans mon pays
Emmanuelle Dufour
Écosociété, collection Ricochets,
1er trimestre 2021, 188 pages