Surreprésentation carcérale des Autochtones – Une constante dégradation

Pavillon de ressourcement Centre Pê Sâkâstêw, en Alberta. (Courtoisie)

Le plus récent rapport annuel de l’enquêteur correctionnel du Canada dénonce l’augmentation de la surreprésentation carcérale des Autochtones, en analyse les causes et propose des solutions.

La surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes était déjà une problématique identifiée en 1973, mais elle n’a cessé de croitre malgré les solutions mises de l’avant.

Selon un rapport de l’enquêteur correctionnel présenté au Parlement en 2013, un peu moins de 25 % des détenus dans les prisons fédérales étaient autochtones. Dix ans plus tard, ils sont environ 33 % (50 % pour les femmes) alors que les Autochtones forment 5 % de la population canadienne. «L’augmentation constante et ininterrompue de la représentation disproportionnée des Autochtones sous le coup d’une peine fédérale n’est rien de moins qu’une farce nationale et reste l’un des défis les plus pressants du Canada en matière de droits de la personne », écrit l’enquêteur correctionnel, Ivan Zinger, dans son rapport 2022-2023.

Une enquête exhaustive

Pour formuler ses analyses et recommandations, l’équipe du Bureau de l’enquêteur correctionnel a mené dans tout le pays plus de 200 entrevues avec des personnes autochtones incarcérées, des ainés, des membres des Services correctionnels du Canada (SCC) et autres, dialogué avec plusieurs organisations autochtones.

Le rapport investigue des mesures mises en place voilà plusieurs années, les pavillons de ressourcement, l’initiative des Sentiers et les Ainés.
Les pavillons de ressourcement sont conçus pour les Autochtones et leur offrent des services et des programmes adaptés à leur culture; ils y bénéficient d’interventions, des services d’ainés et de cérémonies, avec pour objectif « de s’attaquer aux facteurs qui ont contribué à leur incarcération et de les préparer à réintégrer la société ».

Or, le nombre de pavillons de ressourcement est insuffisant; on n’en retrouve aucun en Ontario, dans l’Atlantique et dans le Nord. Simultanément, ces pavillons sont sous-utilisés, particulièrement ceux gérés par la communauté qui bénéficient d’un financement, de personnel et de ressources inférieurs aux pavillons gérés par le SCC. « Les interventions phares de la stratégie du SCC […] telles que les initiatives des Sentiers autochtones et les pavillons de ressourcement, s’adressent à une si petite minorité d’Autochtones condamnés […] qu’elles n’ont pas d’effet significatif ou mesurable sur la surreprésentation », lit-on.

Les ainés

Selon les témoignages recueillis par l’équipe du Bureau de l’enquêteur, la présence d’ainés est une des solutions les plus efficaces pour aider les détenus autochtones à sortir du système carcéral. Cependant, M. Zinger relève que leur rôle est mal compris par le SCC, qu’ils sont absents des structures décisionnelles, que leur rémunération et leur soutien sont insuffisants à tous les niveaux. Le SCC ne respecte pas ses obligations à l’égard des ainés.

L’enquêteur recommande qu’ils soient rémunérés de manière comparable au personnel du SCC et bénéficient d’une sécurité d’emploi et d’aides financières supplémentaires. « Les outils législatifs et les soutiens politiques mis à la disposition du système correctionnel depuis des décennies […] ont été négligés et leur potentiel a été gâché, conclut M. Zinger.

Plus inquiétant encore, on a l’impression que le Service correctionnel a joué un jeu de politique de reconnaissance, où il a appris à parler de réconciliation pour augmenter sa base de ressources, calmer les inquiétudes des détracteurs et des défenseurs […]. Cela n’a été d’aucune utilité pour les Autochtones derrière les barreaux ni pour leurs familles. »

Réactions

Le gouvernement du Canada a répondu favorablement aux recommandations et travaillera à résoudre les enjeux soulevés. L’Assemblée des Premières Nations (APN) appuie les conclusions et les recommandations du rapport et demande que des mesures urgentes soient prises pour remédier à la surreprésentation et à l’incarcération de ses membres. « Les conclusions de ce rapport soulignent la nécessité d’une action urgente. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre encore dix ans et constater que la crise s’aggrave toujours. Il faut que les choses changent », a écrit le chef régional de l’APN pour le Québec et le Labrador, Ghislain Picard. « Nous demandons à Service correctionnel Canada de mettre en œuvre les recommandations formulées dans le rapport. » « Notre position continue d’être que des investissements en amont soient faits pour l’équité socioéconomique avec les Inuits, qui nous conduiront à des communautés plus en santé, plus prospères et plus sécuritaires, et diminueront la représentation des Inuits dans les centres fédéraux », a fait savoir le président d’Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed.

Contrôle de la justice

Pierre Rousseau est un ancien procureur fédéral et directeur des bureaux de l’Arctique du ministère de la Justice du Canada, auteur du livre Une véritable justice équitable, décolonisée, par et pour les peuples autochtones. « Il faut retourner aux Autochtones le contrôle de leur justice dans le respect de leurs cultures et de leurs traditions, c’est ce qui fonctionne le mieux », prône-t-il

M. Rousseau cite différents projets dans ce sens, aux Territoires du Nord-Ouest par exemple, qui ont bien fonctionné, mais qui ont malgré tout été abandonnés.

C’est aussi ce que revendiquait M. Zinger dans un rapport précédent. « Le SCC et le gouvernement du Canada doivent transférer plus complètement les responsabilités, mais surtout les ressources et le contrôle, aux populations autochtones. »

Ce transfert est préconisé par la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), rappelle Pierre Rousseau, et c’était déjà dans la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones, dont le rapport a paru en 1996, mais ça a été ignoré. Pourquoi? « Les acteurs du système judiciaire ne veulent pas perdre leurs pouvoirs, analyse celui qui a témoigné devant la Commission Viens en 2018. Il y a une ignorance répandue face aux Autochtones, qui ne forment que 5 % de la population, de l’arrogance et du colonialisme. »

Revenu au Québec il y a quatre ans, l’ex-procureur se dit « flabergasté par l’hostilité manifestée face aux Autochtones ». Malgré l’adoption de la DNUDPA par le fédéral, Pierre Rousseau se montre pessimiste face à la résolution de la surreprésentation. « J’ai déjà eu beaucoup d’espoir, ça ne s’est pas traduit dans les faits », dit-il.

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