Les consultations de la population crie sur la réforme de la protection de la jeunesse et la justice pénale pour adolescents ont été lancées le 7 septembre dernier à Mistissini.
L’objectif est d’adapter une démarche cohérente à la culture et aux réalités cries. En 2022-23, le département de la protection de la jeunesse du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James (CCSSSBJ) a traité 1 187 rapports concernant des mineurs, une moyenne de trois situations par jour. Ce sont 629 enfants qui ont été le sujet d’au moins un rapport retenu pour une enquête.
Depuis avril dernier, les commissaires Bella M. Petawabano et Lorraine Spencer sondaient le personnel du CCSSSBJ. Un groupe de travail a été créé sous l’autorité de ce dernier, comprenant des représentants de différents groupes comme le Conseil des jeunes, l’Association des femmes, la Commission scolaire. La consultation des membres des communautés durera jusqu’en janvier 2024; un rapport écrit comprenant des recommandations sera remis au mois de juin suivant au conseil d’administration du CCSSSBJ.
La réforme de la protection de la jeunesse s’inscrit dans une vaste réforme du système de santé et la modernisation de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris.
Un système obsolète
« Il faut moderniser notre propre système parce que la loi qui nous gouverne est assez vieille, elle est obsolète dans la plupart des secteurs, incluant la protection de la jeunesse et la justice pour les jeunes, commente le président du CCSSSBJ, Bertie Wapachee. […] Le système ne fonctionne vraiment pas pour notre jeunesse. Nous avons eu tellement d’années de plaintes dans les assemblées; plutôt que d’y retourner et d’entendre les mêmes choses, nous voulons donner aux gens l’occasion de nous apporter leurs constats pour qu’ils nous guident vers quelque chose de différent et de plus progressif pour la protection de la jeunesse. »
Le président du CCSSSBJ souligne qu’en vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, les Cris bénéficient de financement de la part des gouvernements et de pouvoirs pour façonner leur système de services sociaux.
« Nous sommes encore en train d’appliquer et de mettre en place le traité qui a été signé en 1975, explique Bertie Wapachee. […] Après la création du CCSSSBJ en 1978, la protection de la jeunesse était déjà là. Nous avions déjà le financement, les programmes, le personnel. Ce dont on a besoin de faire maintenant, c’est de réaligner nos services pour améliorer la vie de nos enfants et de la jeunesse. […] C’est une chose d’être guidé par le système de santé de Québec, nous travaillons avec, mais nous voulons aussi le développer en quelque chose en quoi nous croyons pour améliorer plusieurs aspects de notre vie comme peuple. »
Une grande cérémonie
Le lancement de la période de consultations a fait l’objet d’une grande cérémonie à Mistissini, où se sont notamment exprimés le chef local, Michael Petawabano, et le grand chef adjoint du Grand Conseil des Cris, Norman A. Wapachee. Le CCSSSBJ avait aussi invité pour l’occasion la directrice nationale de la protection de la jeunesse, Catherine Lemay, et Cindy Blackstock, la directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Connue à l’échelle canadienne et internationalement, Mme Blackstock a travaillé activement à la reconnaissance des droits des enfants autochtones. Entre 2007 et 2016, un procès a opposé l’organisme qu’elle dirige et l’Assemblée des Premières Nations au fédéral, accusé de sous-financer les services à l’enfance autochtones, et donc de discrimination. Le Tribunal canadien des droits de la personne a donné raison à la Société de soutien et à l’Assemblée et, en juillet dernier, un accord de règlement final révisé totalisant plus de 23 milliards de dollars était conclu.« Nous la voulions ici pour pouvoir bénéficier de toutes les relations qui peuvent contribuer à l’amélioration du bienêtre et de la protection des enfants », commente Bertie Wapachee. C’est mieux d’avoir une plus grosse équipe. C’est comme avec la directrice de la protection de la jeunesse. Nous apprenons les uns des autres. Nous voulons être inspirés de ce qu’ils font pour créer notre propre régime. »
Régler la pauvreté
Dans un discours chaleureusement applaudi, prononcé en anglais mais traduit en cri, Cindy Blackstock a identifié ce qu’elle considère être les véritables ennemis d’une enfance épanouie.
« Vous devez vous demander quel est le problème, a dit Mme Blackstock. Est-ce la marchette? Est-ce la justice? Je ne crois pas que ce soit des problèmes majeurs. Tous les deux sont alimentés par un gros feu, le feu de la pauvreté. […] La violence domestique et les addictions viennent de ce trauma de la pauvreté et du manque de logements. Peu importe à quel point sont bons les outils et les lois que vous créez, si vous ne réglez pas les problèmes du feu, ça va bruler. »
« L’équité est un des outils essentiels pour s’assurer que les enfants et que les familles vont bien, a ajouté Mme Blackstock. […] On ne peut pas permettre aux gouvernements de faire de la discrimination contre nos enfants. […] Ils n’ont qu’une enfance. […] Se tenir debout dans le vent de la discrimination pour que nos enfants ne soient pas seuls, c’est le travail de cette grande commission et je sais que ce sera un exemple pour plusieurs à travers le pays. »