Madrid, février 1936. Un gouvernement de coalition est élu dans la jeune république espagnole. Ce « front populaire » est soutenu par les groupes socialistes, communistes et anarchistes, à l’époque très populaires chez les ouvriers. Les bourgeois, l’armée et les conservateurs rejettent les résultats de l’élection. Les affrontements ne tardent pas : en juillet, l’armée tente un coup d’état contre le gouvernement élu de la République. À sa tête : le général Francisco Franco. Nationalistes, conservateurs et partisans fascistes sont de son côté. Dès lors et jusqu’en 1939, l’Espagne sera déchirée par une violente guerre civile où s’affrontent les partisans de la République et les Nationalistes de Franco.
Le conflit prend rapidement des proportions internationales. L’URSS envoie une poignée de renforts à la République… et des agents du Parti Communiste qui infiltrent ses organisations militaires. L’Allemagne nazie et l’Italie fasciste appuient les troupes franquistes : ils profiteront de la guerre pour tester armement et tactiques militaires… Le conflit attire aussi des milliers de volontaires du monde entier, venus défendre la République en danger. Ils formeront les Brigades internationales. Parmi eux : environ 1 700 Canadiens.
Les années 1930 sont marqués par la crise économique la plus rude de l’histoire. Au Canada, des milliers d’ouvriers sont jetés sur les routes, errent dans les gares, s’entassent dans des camps de chômeurs et vivotent d’emplois instables et saisonniers. Ces Canadiens qui s’embarquaient pour l’Espagne n’avaient rien à perdre. Ils étaient généralement des hommes de 30-40 ans, immigrants et célibataires. Certains étaient venus au Canada dans les années 1920 pour fuir la misère ou la montée du fascisme en Europe. Premiers à perdre leur emploi, heurtés de plein fouet par la crise, ils rêvaient de justice sociale. La plupart s’étaient rapprochés des mouvements socialistes et communistes au Canada et la majorité souhaitait combattre la montée du fascisme.
S’enrôler n’est pas une mince affaire et n’atteint pas l’Espagne qui veut. Le gouvernement fédéral s’oppose à l’enrôlement de Canadiens à l’étranger. Les volontaires sont même passibles de 2 ans de prison ! Aucun passeport n’est délivré à qui veut se rendre en Espagne. Les volontaires doivent transiter par la France avec l’aide du Parti communiste canadien. Arrivés sur place, ils doivent franchir clandestinement les Pyrénées à pied.
Une fois rendus, la plupart de ces combattants en herbe sont d’abord intégrés au sein de bataillons américains – le Lincoln et le Washington. Finalement en 1937, ils constituent un bataillon bien à eux : le Mackenzie-Papineau*. Ces Mac-Pap seront de toutes les batailles et paieront un lourd tribut. Près du tiers ne reviendront pas.
Le plus connu de ces volontaires est le Dr Norman Béthune. Armé d’un camion réfrigéré, ce chirurgien montréalais crée une unité de transfusion sanguine mobile et œuvre sur un front de près de 1 000 km. Il s’emploie alors à approvisionner en sang les hôpitaux de campagne et à transfuser les blessés là où ils sont : près du front.
Dès 1938, l’enthousiasme suscité par les Brigades internationales se tarit. Les armées de Franco gagnent du terrain, la République ne peut plus espérer de victoire. Ces volontaires canadiens qui rêvaient de combattre le fascisme sont désillusionnés et même considérés par les cadres du Parti communiste comme des « traitres potentiels ». La guerre civile prend fin officiellement le 1er avril 1939. La fragile République s’effondre laissant place à une dictature qui va durer jusqu’à la mort de Franco, en 1975.
De retour au pays, ces vétérans de la guerre d’Espagne sont accueillis avec suspicion. Deviendront-ils des agitateurs révolutionnaires ? Ils sont fichés et surveillés par la GRC qui conservera des dossiers sur ces hommes jusqu’en 1964. Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939, plusieurs de ces vétérans tentent de joindre l’armée canadienne. Plusieurs candidats sont rejetés par les recruteurs qui ne veulent pas avoir à faire à ces hommes. D’autres parviennent tout de même à s’enrôler. Armés de leur rude expérience du front en Espagne, ils s’illustrent au front.
Il fallut attendre les années 1990 et 2000 pour que les Mac-Pap commencent à sortir de l’ombre. En 2001, un monument à leur mémoire fut érigé à Ottawa. À cette époque déjà, il ne restait qu’une poignée de vétérans. L’histoire de ces jeunes hommes prêt à traverser l’Atlantique pour défendre leurs idéaux est aujourd’hui encore méconnue.
* Mackenzie-Papineau : hommage aux meneurs des rébellions de 1837-1838, William Lyon Mackenzie (révoltes du Haut-Canada) et Louis-Joseph Papineau (Révolte des Patriotes).
Pour aller plus loin :
• Livre : Renégats – Les Canadiens engagés dans la guerre civile espagnole. Michael Petrou, Lux éditeur, 2015.
• Documentaire : Les « Canadienses ». A. Kish, 1975, ONF. www.onf.com
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