De Christophe Colomb à Justin Trudeau, Gord Hill met en scène et en cases les luttes autochtones en Amériques.
Dans une optique qu’on peut supposer militante puisqu’on lui doit The Anti-Capitalist Resistance Comic Book et The Antifa Comic Book, le bédéiste kwakwaka’wakw Gord Hill porte son regard sur les combats qui ont opposé les Autochtones aux envahisseurs européens tout au long de la colonisation. Et il faut prendre le mot combat au sens littéral puisque,dans 500 ans de résistance autochtone, Hill se concentre de façon quasi monomaniaque sur les batailles, où les victoires des Premières Nations étaient rares et souvent éphémères. Peut-être, néanmoins, un genre d’ode, deYes we can emprunté à Obama pour échapper un tant soit peu à la position victimaire?
Hors du manichéisme
L’oeuvre est formée de courts récits indépendants qui débutent avec l’arrivée de Christophe Colomb sur l’île d’Hispaniola pour se terminer avec l’opposition des Wet’suwet’en au pipeline de Coastal GasLink et qui, chacun, raconte la lutte d’une Première Nation pour préserver culture, liberté, existence.
Les Blancs – Anglais, Espagnols, Américains ou même Russes – sont présentés comme vénaux, sanguinaires et perfides, mais Hill ne fait pas dans le manichéisme. S’il aime avancer que les Premières Nations étaient en meilleure santé que les Blancs avant la colonisation, s’il souligne les connaissances en architecture des Incas ou les avancées mathématiques et astronomiques des Aztèques, il concède néanmoins le caractère belliqueux et les pratiques esclavagistes de certaines nations de la côte ouest du Canada. Il rappelle aussi que nombre d’entre elles se sont alliées aux conquérants plutôt que de s’unir.
Un penchant pour le sang
La structure narrative se répète d’un récit à l’autre, qu’il s’agisse des Mayas, des Tlaxcaltèques, des Shawnees, des Tlingits, des Mapuches ou des Tiwas : quelques informations de base sur un peuple puis le lecteur est plongé dans les affrontements avec force flèches et lances, épées, arquebuses et autres canons. Les massacres, les pendaisons et les mutilations sont à l’avant-plan dans les cent premières pages, accompagnées de statistiques sur le nombre de morts et de survivants. Au-delà du rappel que les Amériques se sont construites sur des massacres, d’un travail d’historien engagé (dont nous n’avons pas vérifié exhaustivement l’exactitude), on croirait que l’auteur éprouve un malin plaisir à dessiner ces tueries. Leur accumulation et la manière dont elles sont dessinées – avec un zeste de candeur- amoindrissent leur fondement tragique au profit d’un humour incertain.
Esthétique rétro et discours contemporain
Traduit ici pour une première fois en français, Gord Hill s’inscrit dans l’important mouvement contemporain de bande dessinée documentaire,mais son approche du trait et ses couleurs en aplat lui confèrent une esthétique très ancrée dans les années 60. Ce mariage de rétro et d’actualité a quelque chose de séduisant. On soulignera l’étonnante absence de phylactères, évacués au profit de denses vignettes narratives, celle aussi des Métis, sur un autre plan.
Graphiquement, l’oeuvre se montre généreusement détaillée sinon luxuriante, avec un travail de couleurs solide et classique, un grand engagement dans les costumes des Européens et des Autochtones ainsi que dans les maquillages de ces derniers, un brin surréalistes.
Les perfectionnistes souligneront une certaine maladresse dans les perspectives, des physionomies un peu convenues et des scènes d’actions un peu figées. On ne leur donnera pas tort, mais ces défauts ont du charme et s’inscrivent dans les 500 richesses des 500 ans de résistance autochtone.
500 ans de résistance autochtone
Gord Hill, traduction de Marie C Scholl Dimanche
Éditions Prise de Parole, Ontario
Février 2023, 131 pages