La construction de voies ferrées dans le cadre de la Grande Alliance pourrait être avantageuse d’un point de vue environnemental, mais demanderait d’immenses investissements de départ.
C’est du moins l’analyse de Luc Faucher, directeur du Centre d’expertise ferroviaire Rail (CEFRAIL), rattaché au Cégep de Sept-Îles. Le Centre fait de la formation, de la recherche, et développe des technologies pour les compagnies ferroviaires.
« Le train est plus écologique et prend quatre fois moins d’essence, assure M. Faucher. On peut mettre le contenu de trois camions dans un wagon. » Il fait en outre valoir que les voies ferrées créent une emprise moins vaste sur le terrain que les transports routiers et que les besoins en main-d’œuvre sont moins élevés que ceux-ci; on peut ainsi mettre le contenu de 350 camions dans un train de 150 wagons géré par deux employés.
La possibilité d’avoir des trains de passagers est sur la table à ce stade-ci de la Grande Alliance sans être la motivation principale de sa mise en œuvre. Elle vise d’abord les minerais et ensuite les produits forestiers, de construction, les fournitures de ravitaillement pour les communautés, etc. Il est possible, de dire M. Faucher, d’utiliser une seule voie pour les marchandises et le passagers, en fonction de la fréquence des passages.
Problématique
Si le train est plus écologique, il y a un hic et il est majeur, c’est que la construction de voies ferrées est beaucoup moins subventionnée et beaucoup plus dispendieuse que celle des routes. Il y a peu d’investissements publics dans la voie ferrée en Amérique du Nord, moins qu’en Europe, selon le directeur du CEFRAIL. Cependant, le gouvernement québécois est partenaire de la Grande Alliance; il apparait invraisemblable qu’il ne participe pas au montage financier. Cité dans un article de Piel Côté à Ici Radio-Canada, le célèbre avocat et négociateur cri, John Paul Murdoch, affirme que l’industrie minière, première bénéficiaire du projet, devra contribuer. Les investissements à prévoir sont énormes.
« Le prix estimé de la voie de contournement de Lac-Mégantic est de 10 M$ du kilomètre, rapporte M. Faucher. » Pour les 12,5 km de cette voie, la facture s’élèverait à 133 M$.
Le budget du projet QcRail, qui vise à relier Dolbeau-Mistassini aux installations portuaires de Baie-Comeau, est quant à lui évalué à 1,8 à 2, 2 MM$ pour 370 km, rapporte Luc Faucher. Pour des raisons qui restent à élucider, le ratio est ici diminué à 5 ou 6 M$ du kilomètre.
Si on se base sur ces chiffres, quel budget faudrait-il pour les quelques 1 000 kilomètres de la voie ferrée anticipée de la Grande Alliance, sans parler des aires de transbordement et du port en haute mer?
Des amorces de réponses devraient être formulées pendant les études de préfaisabilité et de faisabilité.
Compatibilité
Échelonné en trois phases sur des décennies, le segment ferroviaire de la Grande Alliance vise dans un premier temps à remettre en service la ligne entre Lebel-sur-Quévillon et Chapais puis, par étapes successives, à relier Matagami à un futur port en eau profonde à Whapmagoostui-Kuujjuarapik, idéalement en longeant la route Billy-Diamond.
Des voies ferrées relient déjà Chibougamau à Dolbeau-Mistassini, connectant deux projets ferroviaires qui, pour Luc Faucher, peuvent être compatibles.
Le directeur de CEFRAIL signale qu’un des objectifs de QcRail est d’offrir un trajet beaucoup plus court pour exporter vers l’Europe les céréales de l’Ouest canadien que de passer, comme actuellement, par les ports de Québec et Montréal. Il pourrait aussi servir à expédier les poutres de bois du Nord-du-Québec vers le même marché.
« Si la route maritime du Nord n’est pas gelée toute l’année, précise-t-il, il y a des matières qui devraient plutôt passer par Matagami et monter jusqu’au Nord pour aller vers les marchés. »
Il souligne toutefois que le chemin de fer sera long à construire et que l’érection d’un nouveau port exigera beaucoup d’investissements.
M. Faucher souligne que les deux réseaux pourraient aussi être utilisés en direction est-ouest, par exemple pour le raffinement en Abitibi ou en Ontario de minéraux importés.
Une vision pancanadienne
Régis Simard est directeur général de la Table jamésienne de concertation minière (TJCM) et représente l’Administration régionale Baie-James auprès de QcRail. Pour lui, les deux projets sont complémentaires et il faut les analyser dans « une vision nationale d’un corridor de transport nordique ». Il faut rappeler que, depuis plusieurs années, est en gestation un projet de transport intermodal nordique reliant le Labrador aux Territoires du Nord-Ouest. « Il faut repenser nos infrastructures pour développer notre territoire nordique en le rattachant à un port en eau profonde, avance Régis Simard. […] Baie-Comeau donne une opportunité pour l’ensemble du Canada, en particulier pour la Baie-James. »
Voies ferrée et maritime
Pour Régis Simard, chaque phase de la voie partant de Matagami vers le nord est valide en soi sans qu’il y ait nécessairement un port à l’extrémité nord. Dans la première phase, la voie ferrée doit se rendre près de la route du Nord. Le minerai des futures mines de lithium pourrait alors être acheminé par voie ferrée jusqu’à une usine de seconde transformation située sur le territoire de la Baie-James. « Mais si on se rend à Whapmagoostui, ça prend un port. » Ce port permettrait d’expédier vers le sud par chemin de fer différents minerais du Grand Nord. M. Simard pense, par exemple, au nickel de la mine Raglan (Nunavik), qui est traité à Sudbury et passe actuellement par Québec.
Concurrence
Un important port existe déjà de l’autre côté de la baie d’Hudson, à Churchill (Manitoba), trois degrés de latitude au Nord de Whapmagoostui-Kuujjuarapik. Il est connecté au sud du Manitoba par voie ferrée. « Le port de Churchill entre en compétition avec la vision de la Grande Alliance, analyse M. Simard. Mais il est axé vers l’ouest. J’ai mentionné lors des consultations qu’il faut le prendre en ligne de compte et entrer ça dans l’équation. »
Le cuivre de Chibougamau-Chapais
Pour Monsieur Simard, la première phase ferroviaire de la Grande Alliance permettra de mettre à profit le cuivre de la région Chapais-Chibougamau en l’expédiant à Rouyn-Noranda, où se trouve la seule fonderie de cuivre de l’est du Canada.
« Le cuivre, porteur d’avenir avec l’électrification des transports, est passé de 3 $ à 4,50 $ la livre en un an, dit-il, et plusieurs projets d’exploitation, comme Opémiska et Corner Bay ont accéléré leur mise en exploitation. C’est un élément très important. » « Ça prend ce tronçon sinon le corridor va passer plus au sud. Ça nous positionne pour plusieurs d’opportunités de développement. »