QUÉBEC. L’ex-chef de cabinet de Jacques Daoust, Pierre Ouellet (photo), contredit son ancien patron et affirme que le ministre de l’Économie de l’époque avait été mis au courant du projet de vente d’actions de Rona par Investissement Québec en novembre 2014.
Mais le ministre Daoust ne voulait pas s’en mêler, estimant que la décision de liquider ou non l’ensemble des actions de Rona relevait de la société d’État et non de lui, a relaté M. Ouellet, jeudi, en commission parlementaire.
«C’est leur responsabilité. Ils vivront avec les conséquences», aurait répliqué M. Daoust quand son directeur de cabinet l’a informé de la demande formulée par les administrateurs d’Investissement Québec, qui cherchaient à connaître la position du ministre sur le bien-fondé de la transaction, selon M. Ouellet, qui était le bras droit de Jacques Daoust.
Pierre Ouellet a témoigné en fin de journée jeudi, en commission parlementaire, en vue de préciser le rôle politique que l’ex-ministre Daoust et lui-même ont pu jouer lors de la vente massive des actions de Rona détenues par Investissement Québec, à la suite d’une résolution en ce sens adoptée par les administrateurs le 17 novembre 2014.
La version de M. Ouellet, qui témoignait sous serment, contredit celle défendue sur toutes les tribunes, depuis des mois, par son ancien patron. Dans son communiqué annonçant sa démission, le 19 août dernier, M. Daoust réaffirmait qu’il n’avait «pas été informé de l’intention des administrateurs de vendre la participation d’Investissement Québec dans Rona», et qu’il n’avait «pas donné d’autorisation à celle-ci».
À la grande surprise des députés péquistes et caquistes présents, qui n’ont pas été convaincus, Pierre Ouellet a aussi affirmé qu’il n’avait jamais discuté du dossier Rona avec le cabinet du premier ministre Philippe Couillard avant juin 2016.
«C’est inconcevable», a soutenu le député péquiste Alain Therrien au terme des échanges.
La commission parlementaire spéciale, qui se tenait toute la journée au Salon rouge de l’Assemblée nationale, visait à faire la lumière sur les conditions ayant mené à la vente, en novembre 2014, de 11 millions d’actions de Rona, d’une valeur de 140 millions $, détenues par Investissement Québec. L’américaine Lowe’s a acquis le géant québécois de la quincaillerie en février dernier au montant de 3,2 milliards $.
La transaction avait semé aussitôt la controverse, les partis d’opposition jugeant que le gouvernement Couillard n’avait rien fait pour empêcher la vente d’un « fleuron » de l’économie québécoise à une entreprise américaine, provoquant ainsi la perte d’un siège social.
Pierre Ouellet était à l’époque l’interlocuteur du ministre Daoust auprès d’Investissement Québec, la société d’État qui relevait du ministre de l’Économie.
Les partis d’opposition cherchaient à savoir si le gouvernement a joué un rôle politique dans la transaction, en approuvant cette vente massive d’actions, ce que l’ex-ministre Daoust a toujours nié avec vigueur.
Dans la tourmente dans ce dossier depuis des mois, M. Daoust a été forcé de démissionner vendredi dernier, à la suite de la publication d’un échange de courriels laissant croire que son directeur de cabinet, M. Ouellet, avait donné l’autorisation politique requise par Investissement Québec, le 26 novembre 2014.
On a appris jeudi que M. Ouellet avait en fait été informé par téléphone des projets d’Investissement Québec, par son président par intérim, Yves Lafrance, plusieurs jours plus tôt, soit dès le 17 ou le 18 novembre, a relaté ce dernier. L’appel visait à «consulter» le ministre sur la transaction.
Durant son témoignage, M. Lafrance a confirmé que la société d’État «n’avait pas besoin» d’une sanction politique pour procéder, mais il estimait que c’était «un élément au poids relatif important» dans la prise de décision.
L’ancien président du conseil d’administration d’Investissement Québec, Louis Roquet, a renchéri pour dire que la résolution adoptée par les administrateurs en novembre 2014 était «décisionnelle», donc que l’autorisation politique n’était pas nécessaire pour liquider l’ensemble des actions de Rona.
La démarche faite par courriel auprès du cabinet du ministre Daoust devait donc être interprétée comme un geste axé sur «l’information préalable» fournie au ministre et non comme une «consultation» comme telle. Selon lui, le ministre n’avait pas de pouvoir décisionnel dans ce dossier et «probablement» que la société d’État serait allée de l’avant de toute façon, en cas de désaccord gouvernemental.
Mais selon le député Alain Therrien, les témoignages entendus amènent à conclure que l’ex-ministre Daoust «a été informé et qu’il a donné son accord tout simplement en disant: je me mêle pas de ça».
Le député caquiste François Bonnardel a réclamé la démission du directeur de cabinet du premier ministre, Jean-Louis Dufresne, tenant pour acquis qu’il était lui aussi au courant du dossier et n’a rien fait pour empêcher la vente. Il qualifie l’affaire de «cover up» de la part de l’entourage du premier ministre Couillard.
«C’est inacceptable qu’on ait protégé un ministre pendant trois mois, en sachant qu’il avait menti aux parlementaires et menti aux Québécois», a-t-il fait valoir en mêlée de presse.
Le député solidaire Amir Khadir croit lui aussi que le cabinet du premier ministre tirait les ficelles, en ayant approuvé la transaction. «On nous demande d’accepter des explications abracadabrantes», selon le député, qui juge que le premier ministre devrait prendre sa responsabilité dans ce dossier, au lieu de transformer Jacques Daoust en «agneau sacrificiel».
Le député libéral et ex-ministre Robert Poëti a dit que «c’est bien décevant» d’apprendre que le témoignage de M. Ouellet contredit la version de M. Daoust.
Avant le début des travaux de la commission, en matinée jeudi, plusieurs députés des rangs de l’opposition avaient exprimé leur insatisfaction quant au choix des témoins. Ils auraient voulu entendre l’ex-ministre Daoust, Robert Dutton, l’ancien patron de Rona à l’époque où M. Daoust dirigeait Investissement Québec avant de se lancer en politique, et le chef de cabinet du premier ministre, Jean-Louis Dufresne.
L’opposition reproche aux députés libéraux membres de la commission d’avoir refusé d’entendre ces témoins-clés pour comprendre ce qui s’est passé.
En 2012, le gouvernement Charest était intervenu sur le plan politique dans le dossier de Rona. Il avait demandé à Investissement Québec de procéder à l’acquisition de millions d’actions de Rona, en vue d’empêcher Lowe’s de sortir gagnant de l’offre d’achat non sollicitée déposée en vue de mettre la main sur le quincailler québécois.
La Presse Canadienne